Lebadang – Espaces

Espaces

LEBADANG, "Apparition de la rivière", 1987. Papier, relief, gravure, aquarelle, poinçon d'or et acrylique sur papier, 80 x 56 cm, collection privée, Paris, France.

LEBADANG, « Apparition de la rivière », 1987. Papier, relief, gravure, aquarelle, poinçon d’or et acrylique sur papier, 80 x 56 cm, collection privée, Paris, France.

En 1985, Lebadang démarre ce qui sera, sans doute, son œuvre majeure, la série des Espaces. Des œuvres en papier qui combinent plusieurs techniques par collage et superposition, entre sculptures et bas-reliefs, comme une synthèse et un dépassement de ces deux formes d’expression. Lebadang fait fabriquer son papier au Moulin de Larroque à Couze, en Dordogne, un papier pur chiffon fait main, très épais qu’il déchire à la main et colle par strates superposées jusqu’à obtenir une sorte de paysage en « relief », un paysage vu du ciel. Les premiers Espaces sont monochromes, blancs ou noirs. A cette époque, il s’intéresse aux vues aériennes des géoglyphes de Nazca de la photographe américaine Marilyn Bridges. Il y voit un lien entre l’homme et le Cosmos.

Plus tard, Lebadang insère dans ses Espaces des gravures en relief qu’il rehausse d’aquarelle. En 1995, les Espaces deviennent des mobiles peints recto verso qu’il suspend. Le fond est à base de papier avec un apport de matière par collage et superposition et l’adjonction de sable. La forme est découpée et peinte avec des figures ou des formes en creux.

Luc HO

Lebadang doit être un extra-terrestre

Texte de François Nédellec paru dans le catalogue Art Vision à Paris (1993, Kyoto Shoin, Japon).

LEBADANG, "Espace", gravure-relief et collage sur papier. Myshu Lebadang, Paris, France. © Luc HO.

LEBADANG, « Espace ». Gravure-relief et collage sur papier, collection privée, Paris, France.

[…] Lebadang semble toujours arriver là où on ne l’attend pas, grâce à une manipulation magique qui en fait un être surnaturel.

Et à bien y regarder, l’œuvre de Lebadang parait lunaire, silencieusement lunaire.

Des espaces que l’on observe de haut, où le dénivelé et les aspérités du terrain nous rappellent les « terra incognita » des premiers explorateurs.

Comme si cela était le royaume des esprits, le refuge de la mémoire des morts.

Au premier regard, une œuvre où l’œil balaie des contrées glaciales et désertiques, où seule une nappe bleue vient nous faire soupçonner la présence d’un lac ou d’un glacier.

Entre la sérénité et le silence qui précèdent les tempêtes.

Lebadang se situe dans cette interface où le démiurge, avec art et malignité joue avec les idées, les matériaux et les projets. Maître des mots et des choses dans une sagesse qui apparaît constamment en filigrane dans la sobriété de son art, Lebadang  parait atterrir et le mot n’est pas trop fort, sur un espace à modeler.

La concordance totale entre une réalisation de petit format que les spécialistes appelleraient maquette et la réalisation à l’échelle d’un parc, en fait pratiquement une épure.

Lebadang devient l’architecte de la nature. Et c’est justement par l’architecture que l’espace naturel devient espace commun, là où existent les repères signifiants du vivre et du vivre ensemble.

Et l’œuvre de Lebadang a cette force de redonner, en trois dimensions, des volumes que le regard et la main ont envie de caresser, envie d’investir.

Alors pourquoi ne pas rentrer pleinement, totalement dans l’œuvre par l’imaginaire. Une nature à dimension planétaire où il fait bon se promener. Comme si le modèle, l’épure dont nous parlions devait accéder à son destin final — l’art dans lequel on vit, on marche, on pleure et on rit.

Le macrocosme et le microcosme se trouvent réunis par la magie des sens.

Car Lebadang, à coup sûr, est un homme de mémoire, de mémoire géologique.

Quand il choisit, avec la précision des maîtres d’œuvres, le papier chiffon, il sait qu’il va travailler la cellulose pure, exempte de lignine pour façonner à la manière du grand architecte un espace dont l’ambiguïté sera d’être naturo-culturelle.

Il retrouve les strates, les cratères, les synclinaux et les anticlinaux que le temps a façonnés, mais que l’on finit « in situ » par ne plus remarquer.

Il faut y voir là une sorte de retour aux sources, de regard antédiluvien où la nature était art, où la forme était résonance cosmique.

Que les strates soient de schiste ou de cellulose, qu’importe. Il y a comme une généalogie plastique, une accumulation de « mémoires ».

Transposer dans l’émotion première, comme veut le faire Lebadang, une œuvre de petit format sur une réalisation de plusieurs hectares, montre à quel point, l’art tel que le conçoit l’artiste est partie intégrante de l’homme.

Et c’est un vieux mythe — c’est finalement pénétrer la matière pour la vivre — pour y vivre. C’est retrouver le sentiment populaire que l’homme est à la fois un univers et dans l’univers. C’est être un géant et un lilliputien.

Du reste l’atelier de Lebadang a ce quelque chose d’apprenti sorcier.

Les feuilles — je veux dire les strates — de papier de couleur noire, rouge ou bleue, sorte de grandes plaques tectoniques, rampent et glissent, à sa volonté, sur le sol du local.

Il reconstruit des paysages miniatures avec certainement une soif quasi maladive de retirer le superflu.

Il veut revenir à un état premier, ou plus exactement à un état primordial.

Cet état que tout chercheur de calme et que tout philosophe se fabrique et que l’on nomme « Le désert intérieur ».

Lebadang est un sage, qui sait que ce qui n’est pas fait avec le temps, n’est retenu par le temps.

Alors, il fabrique, il recompose des paysages, des continents à l’image des modèles qu’il assemble.

Comme il le dit lui-même, comme il le ressent, c’est le cycle éternel de la lumière et de la vie.

C’est une œuvre où chaque parcelle de cellulose/schiste respire profondément la vie et la lumière.

L’acte créateur s’affirme dans toute sa plénitude.

François Nédellec
(Conservateur du Musée de La Castres, Cannes)


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