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Présentation de la donation Lebadang (1921 – 2015)
et des acquisitions récentes du musée
2 novembre 2016 – 5 mars 2017
En 2015, le musée Cernuschi a bénéficié d’une importante donation de Mme Myshu Nguyên – Lê Bá Dang, en mémoire de son époux, l’artiste français d’origine vietnamienne Lebadang. Demeuré discret en France où il a pourtant vécu depuis l’âge de dix-huit ans, ses œuvres ont été plus largement diffusées aux États-Unis, au Japon, en Allemagne et au Vietnam. Son pays d’origine avec lequel il a conservé un fort lien culturel et affectif en dépit de l’éloignement, lui a consacré à Huê un musée monographique ouvert en 2006.
Artiste prolixe et curieux, insatiable explorateur des matières et des techniques, Lebadang aimait à se considérer comme un « artisan de l’art » plutôt que comme un artiste. Il laisse une œuvre où se rencontrent aquarelles, estampes, sérigraphies, peintures, modelages en terre, sculptures en fils de métal, en verre, en inox poli ou en bois, bijoux, céramiques, tapisseries.
À la frontière entre sculpture et peinture, ses œuvres les plus originales sont constituées de papier chiffon épais, déchiré et collé sur le fond. Ces Espaces en très haut relief évoquent une terre imaginaire et poétique vue du ciel. Relevant tous les défis techniques, il transpose ce thème dans le domaine de l’estampe et parvient à mettre au point des multiples extrêmement raffinés : découpe de formes assemblées manuellement, embossage à chaud, gravure, couleurs lithographiées sont autant d’étapes dans leur réalisation.
Les vingt œuvres présentées au musée Cernuschi permettent d’illustrer les recherches successives et les différentes étapes stylistiques de Lebadang. Tenté par l’abstraction pendant les années 1960, il laisse émerger des formes et des textures que l’on croit reconnaitre fugitivement. Pour lui, l’abstraction, le jeu des textures et des trouées lumineuses des fonds évoque le tout originel de la philosophie taoïste.
Pendant la Guerre du Vietnam, Lebadang exprime son déchirement au moyen d’une série de toiles intitulées Paysages indomptables. Une nature chaotique, falaises noires et abruptes, bouillonnements agressifs, éclaboussures hostiles, est transpercée d’une ligne rouge. Seule note de couleur, violent espoir ténu mais acéré, elle évoque la piste Hô Chi Minh, réseau routier secret permettant le ravitaillement des troupes communistes. Une aquarelle de la même année reprend le thème de la guerre dans un style où affleure le souvenir de paysages chinois classiques. Les arbres incendiés flamboient, menaçant d’humbles cabanes, dernier vestige d’une humanité traquée, prise au piège parmi les explosions lumineuses d’un paysage tourmenté. On y reconnaît le travail particulier des auras de lumière et des courbes sinueuses que l’artiste poursuivra aux périodes suivantes, dans la Comédie humaine et les Espaces.
Entre 1978 et 1979, accueilli dans les ateliers des galeries américaines Circle Fine Art, Lebadang produit une série de sérigraphies où il cherche à obtenir une profondeur, une harmonie colorée somptueuse à travers la vibration et la superposition des couleurs plutôt que par leur accumulation.
L’année 1980 marque un tournant dans l’œuvre de Lebadang : son fils meurt cette année-là. Pour la première fois, Lebadang travaille pour lui-même, se libère des styles à la mode et des œuvres de commande. À l’âge de la maturité, il réintroduit la figure humaine dans ses séries qu’il intitule la Comédie humaine, en hommage à Balzac : Lebadang se sent inspiré par la sensibilité de l’auteur aux peines, aux joies, aux destins de la condition humaine. Il touche ici à l’universel de ses dernières œuvres, en transcendant les influences culturelles. Il met également au point son sceau composé d’un carré abritant une famille : un enfant entre ses deux parents. Cette idée de l’humain dans un cadre sera reprise et prolongée dans le concept suivant, celui des Espaces, développés à partir de 1985.
Tel un architecte du papier, il modèle la cellulose comme la surface d’une terre imaginaire vue en surplomb, avec ses vallées et ses monts. L’artiste démiurge donne à voir un paysage épuré, spirituel, reconstruit à partir de l’intuition d’une nature primordiale, invisible mais présente. Un écho taoïste résonne dans cette quête proposée au spectateur, invité à porter son regard au-delà de la finitude de l’œuvre.
Vers 2001, Lebadang, alors âgé de 80 ans, entre dans sa dernière période où il propose une synthèse apaisée de plusieurs des thèmes qui l’auront occupé toute sa vie. Sur un fond faussement unifié et monochrome, il pose des touches vibrantes suggérant une matière impalpable, à la fois dense, lumineuse et mouvante, qui semble contenir l’émergence potentielle d’une forme. Une face apaisée et introvertie de Bouddha s’en dégage. De la divinité ne reste plus que la plénitude d’un visage à la présence astrale. La lumière semble sourdre de sous la surface peinte, ultime intuition de l’artiste d’un au-delà spirituel.
Anne Fort, conservatrice au musée Cernuschi
Leaflet of the Cernuschi Museum (PDF – 312 Ko)